Le livre que j’ai choisi de présenter au travers de cette fiche de lecture s’intitule sobrement Kant et prend place dans la collection Apprendre à philosopher proposée en complément du journal La Libre. Après quelques recherches, il s’avère que la collection compte 40 livres distribués par différents quotidiens en Belgique mais aussi à l’étranger. Il semblerait que la collection ait été éditée dans un premier temps en langue espagnole sous le nom de « Aprender a pensar » mais la présentation qui est faite du matériau original est tout sauf exhaustive. C’est le journaliste Bosco d’Otreppe qui en fait la promotion en Belgique. Selon lui, cette collection a pour ambition de séduire un public « désireux d’envisager le monde actuel avec un regard critique » en abordant un large éventail de questions allant de l’origine du cosmos au sens de la vie en passant par l’organisation de la société. Autant dire que la collection ne s’impose aucune limite…
Pour réaliser cette fiche de lecture j’ai choisi d’aborder l’ouvrage consacré à Emmanuel Kant. À l’heure où j’écris ces lignes, seuls 6 volumes sont disponibles en librairie et j’estime que celui consacré au philosophe allemand est le plus adapté à l’analyse que j’aimerais transmettre par cette fiche de lecture. En effet, comme de nombreux étudiants, j’ai d’abord éprouvé de sérieuses difficultés en découvrant l’œuvre de Kant et celle-ci m’a demandé d’importants efforts avant de pouvoir apprivoiser les concepts qu’il développe notamment dans les trois critiques. Il faut reconnaitre que l’aridité de son style et l’ampleur des réflexions exposées par Kant dans ses ouvrages en rendent la lecture pour le moins éprouvante surtout lorsqu’on n’est pas familier de tels monuments philosophiques. C’est essentiellement pour cette raison que j’ai été intrigué par un ouvrage destiné à introduire Kant en 150 pages à un public qui n’a pas nécessairement été formé à la discipline philosophique. Et le fait que la 4e de couverture se montre très évasive sur le contenu de l’ouvrage n’a fait qu’assoiffer ma curiosité.
L’ouvrage est fractionné en quatre chapitres d’importance équivalente. Les deux premiers sont l’œuvre de Francisco Manuel Arroyo Garcia et les deux derniers ont été rédigés par Marcos Jaen. Le tout a été adapté par Vianney Aubert et traduit en français par Magali Mangin. Le premier chapitre a une vocation très historique et cherche à introduire la pensée de Kant en la replaçant dans son époque à savoir le siècle des Lumières. L’auteur insiste lourdement sur l’importance fondamentale qu’a joué ce contexte dans le travail de Kant et la mise en place de son système philosophique. Le deuxième chapitre est quant à lui consacré à la Critique de la raison pure en la présentant comme l’ouvrage qui a permis de poser les limites de la connaissance. Il est logiquement suivi par le chapitre consacré à la Critique de la raison pratique en mettant en évidence les liens qui existent entre la morale kantienne et les événements politiques de l’époque. Enfin, le livre se conclut sur un chapitre qui aborde la Critique de la faculté de juger et les dernières années de la vie de l’auteur.
Le premier chapitre « Ose penser ! Kant, un esprit des Lumières » se propose de faire découvrir une partie de la vie de Kant que, pour ma part, je connaissais très mal à savoir toute la période précritique. Si ce chapitre ne pousse pas nécessairement très loin l’analyse philosophique, il permet cependant de se faire une image bien plus globale de Kant loin du penseur au mode de vie austère auquel il est souvent résumé. De plus, ce chapitre prend véritablement le temps de replacer le développement intellectuel de Kant dans son époque en mettant en évidence ses influences sur le plan scientifique comme philosophique. Ce chapitre met un point d’honneur à présenter le rationalisme et l’empirisme afin de permettre au lecteur d’ancrer la philosophie kantienne à un socle connu. Si les descriptions des deux courants sont relativement sommaires, elles constituent malgré tout un outil pertinent pour déceler les motivations qui animaient Kant à l’heure de rédiger ses œuvres majeures. Ce chapitre insiste également sur le rôle joué par les penseurs des Lumières dans la vie de Kant et sur l’ambition qui l’habitait de pousser ses contemporains à faire usage de leur propre entendement mais pour réaliser pareille entreprise encore fallait-il en poser les limites…
Après avoir solidement posé les jalons de la pensée kantienne, il était temps pour l’ouvrage de rentrer dans le vif du sujet dans son deuxième chapitre consacré à la Critique de la raison pure. Si la première partie ne manque pas de pertinence notamment d’un point de vue historique, la qualité qu’on recherche dans un ouvrage de vulgarisation c’est avant tout sa clarté d’exposition des points les plus techniques. Il faut admettre que ce deuxième chapitre est plutôt satisfaisant à cet égard. Il est bien entendu impossible de résumer une œuvre aussi riche et complexe en quelques dizaines de pages mais ce chapitre constitue une introduction convaincante à la philosophie kantienne surtout pour un public novice. Le chapitre ne prend jamais le risque d’analyser des extraits de l’œuvre originale mais fait le choix de proposer des schémas explicatifs afin de résumer le système kantien. Je dois reconnaitre que j’ai été agréablement surpris par la qualité de ce chapitre mais je me demande comment il pourrait être reçu par un public de véritables néophytes totalement étrangers à l’œuvre de Kant. Je pense qu’il s’agit d’un bon complément à la lecture du texte original mais je doute qu’un lecteur qui découvre Kant par l’intermédiaire de ce seul chapitre puisse vraiment saisir l’ampleur de la réflexion proposée par l’auteur allemand. J’ai d’ailleurs été conforté dans cette hypothèse par la lecture des deux chapitres suivants consacrés à la Critique de la raison pratique et à la Critique de la faculté de juger. Étant moins familier de ces deux œuvres, j’ai rencontré certaines difficultés de compréhension au cours de ma lecture des deux derniers chapitres. Je pense que l’explication des passages les plus techniques manque quelque peu de finesse à certains égards et qu’en ne voulant pas perdre son lecteur dans des développements trop complexes, l’auteur tombe parfois dans une approche trop superficielle de l’œuvre et y perd ainsi paradoxalement en clarté.
Pour conclure cette fiche de lecture, je reviendrai sur ce que j’ai retenu comme étant des points forts de l’ouvrage dans l’optique d’un futur travail d’initiation à l’œuvre de Kant. J’ai notamment apprécié le caractère très scolaire du découpage de l’ouvrage. En faisant clairement la distinction entre la période précritique et chacune des trois critiques, le livre permet de présenter distinctement des chapitres abordant des thèmes différents. Cette approche permet au lecteur de choisir les points qui l’intéressent ou qu’il aimerait éclaircir sans être submergé par la masse d’informations que peut contenir l’ouvrage. Le livre contient aussi un glossaire et un index pour renvoyer directement à certaines questions plus précises. Je pense qu’on pourrait même utiliser les chapitres consacrés à chacune des trois critiques comme des introductions à des UAA différentes. Dans cette démarche, le travail de contextualisation constant auquel se sont livrés les auteurs permet de faciliter la mise en relation de l’ouvrage avec la matière étudiée dans d’autres cours notamment via les parenthèses historiques et la ligne du temps présentent dans l’ouvrage. En bref, ce volume de la collection Apprendre à philosopher représente à mes yeux un outil pédagogique séduisant. S’il comporte certaines lacunes et ne propose pas d’analyse poussée du travail de Kant, ce livre constitue malgré tout une introduction convaincante à son œuvre en ne la dissociant jamais de son auteur ce qui lui donne peut-être aussi un aspect plus humain et donc plus accessible.