« La philo en 50 chansons » de Thierry Aymes (Ed. de l’Opportun)

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Bonjour à toi, professeur·e en quête de nouveaux matériaux susceptibles de mobiliser la corde philosophique trop souvent endormie au fond des corps fatigués de tes élèves ! Ce texte se divise en deux parties. C'est tout d'abord une présentation de l'ouvrage La philo en 50 chansons. Elle visera à t'aider à décider s'il a, ou non,  sa place au sein d'une « bibliothèque philo » destinée aux 16-20 ans. Ensuite, il te sera proposé une fiche-présentation qui pourrait avantageusement accompagner l'ouvrage s'il trouve grâce à tes yeux.

L’ouvrage de Thierry Aymès La philo en 50 chansons aux éditions de l’Opportun date de 2013. Il est composé de 50 sections mettant en parallèle 50 chansons françaises avec 50 philosophes. Citons les plus cocasses : Pierre Perret et Sigmund Freud, Herbert Léonard et Onfray, Desirless et Héraclite, Ophélie Winter et Saint Augustin. Cinq à dix pages sont proposées pour ces binômes qui mélangent le populaire et l’érudit. On y trouvera, à chaque fois, une description du contexte d’écriture de la chanson, un extrait et ensuite un texte un peu hybride entre chansons et philosophie. Mais comment considérer ces textes ? Sont-ils comme annoncés des « véritables ponts entre un pan de la culture dite « populaire » et des pensées de pointe »[1] ou bien plutôt des cohabitations forcées et un peu inadéquates ? On pourrait encore poser la question autrement : est-ce là de la bonne vulgarisation philosophique ou bien de la mauvaise qui se perd dans le dispositif créé pour attirer le  lecteur ?[2]

Avant d’écrire cet ouvrage, son auteur  Thierry Aymès avait déjà en 2008 proposé d’utiliser la musique pour aider les étudiants français face à la philo lors de leur préparation au bac. Plus globalement, il tente d’amener le plus grand nombre à la philosophie et  son projet est clair: « mettre la philosophie en musique, pour que ceux qui aiment avant tout la musique, se mettent aussi, un jour, à aimer la philosophie. Et la lecture »[3]. Cela s’annoncerait donc comme le meilleur de deux mondes : attirer le plus de gens possible par le goût universel de la musique à l’exigence et l’abstraction d’une discipline telle que la philosophie. Et c’est vrai que le grand avantage de l’ouvrage est de proposer en 5 minutes de lecture des textes qui partant de la musique vont glisser progressivement vers la philosophie. Ce chemin emmène donc le réticent vers des auteurs aux noms souvent effrayants : Schopenhauer, Nietzsche ou Jankélévitch.

Pointons certaines faiblesses de l’ouvrage. Parfois, l’auteur s’attarde longuement sur l’histoire d’une chanson prolongeant ainsi inutilement certaines anecdotes laissant à la philosophie à peine quelques lignes. Je pense ici à Michel Berger et Épicure. Celui-ci n’est alors cité que comme un renvoi à une autre chanson précédemment évoquée : « Michel Berger connaissait à coup sur Épicure, mais son propos en l’occurrence est aussi éloigné de sa conception atomiste que celui de Céline Dion dans Vole »[4]. Passage aussi lapidaire qu’énigmatique. Épicureméritaitassurément mieux que ces quelques mots où il est très peu question de lui et de philosophie. Peut-être aurait-il mieux valu alors enlever cette chanson ? Ou prendre le temps de rappeler que la vie qu’Épicure menait dans son jardin était simple et frugale. Il était peut-être même végétalien ! Un idéal de vie communautaire entre amis dans un bonheur stable qu’il toujours bon à rappeler tant il semble bien peu épicurien

Plus généralement, les binômes semblent un peu aléatoires et surtout liés par un mot présent dans la chanson. Il en résulte moins une mise en tension entre la chanson et le philosophe qu’une coprésence d’un discours sur la chanson et d’un second, tout autre, qui porte lui sur le philosophe. D’autres livres parviennent à montrer avec plus de précision et d’adéquation qu’il est possible de faire dialoguer plus profondément musique et philo en laissant même une place pour des extraits de textes classiques. Citons ici cet autre ouvrage de vulgarisation, Rock’n philo de Francis Métivier. Mais l’ambition de départ de Aymès était-elle peut-être moindre, en voulant donner quelques trucs mnémotechniques pour associer concept et philosophe par une chanson comme Libertine  de Mylène Farmer et Sade : « traduire en chanson les grands thèmes de la philosophie pour faciliter la mémorisation des références essentielles à la rédaction de toute bonne dissertation ». 

Au final, considérons La philo en 50 chansons, comme 50 propositions, inégales certes, mais qui sont autant d’expériences qui tentent « de démontrer l’aspect «universel» du questionnement philosophique[5] ». Et même si « la valeur conceptuelle des chansons, elle, est plus difficile à démontrer (…) le projet dit ce qu’il est – une approche légère et simple de la philosophie »[6]. C’est donc une proposition ludique dont l’appât musical tente d’hameçonner le curieux. Pour que cela réussisse, espérons enfin qu’en 2022 ce curieux, s’il a entre 16 et 20 ans apprécie la variété française qui passe sur Radio Nostalgie. En effet, les quatre premiers chanteurs cités sont Claude Francois, Michel Sardou, Céline Dion et Michel Berger…

Fiche-lecteur :

La philo en 50 chansons est un livre ludique qui propose de parallèles originaux entre des chansons françaises et des philosophes. C’est une manière originale de mettre un pied dans ce terrain parfois effrayant. Avantage : tu peux le lire par section, en piochant ici et là telle chanson que tu aimes ou tel philosophe qui t’interroge. Cinq minutes suffisent donc. Et qui sait ? Peut-être cela te donnera-t-il l’envie d’aller lire l’auteur dans le texte original… ?


[1]
     https://www.laprovence.com/article/edition-ailleurs/2533973/musicien-ecrivain-philosophe-ou-psy-mais-qui-est-thierry-aymes.html

[2]            Sur la vulgarisation : « Selon ce bon vieux Larousse, la vulgarisation scientifique consiste à « mettre à la portée du plus grand nombre, des non-spécialistes des connaissances techniques et scientifiques. » Rendre accessibles des connaissances à un public non expert, de manière pédagogique, c’est là tout l’enjeu de la vulgarisation. La vulgarisation scientifique n’a pas seulement pour objectif la diffusion et médiation des connaissances : elle est également liée de près ou de loin à des enjeux éthiques. Plus on connaît et comprend le monde dans lequel on vit, plus on est en capacité de faire des choix en connaissance de cause. Il faut aussi souligner que l’écart entre les connaissances et la population se creuse de plus en plus : les découvertes sont toujours plus pointues, et il est important de maintenir ce lien de médiation. Le risque principal étant une déconnexion de la recherche, pouvant aller à l’encontre des intérêts de la population : il est donc crucial que celle-ci puisse comprendre, et ait un droit de regard sur les avancées scientifiques. La vulgarisation scientifique fait souvent l’objet de remises en question et critiques. Certaines personnes pointent du doigt la simplification des connaissances, qui biaiserait l’information. Ainsi, elle pourrait être détournée de son objectif initial dans le but d’attirer les lecteur·ice·s. » https://leclaireur.fnac.com/article/cp27986-les-meilleurs-livres-de-vulgarisation-scientifique/

[3]   T. Aymès, « La philosophie en musique ? » Diotime, 38.  https://diotime.lafabriquephilosophique.be/numeros/038/011/

[4]   T. Aymès, La philo en 50 chansons, Paris, Les éditions de l’Opportun,p. 36

[5]   https://www.lefigaro.fr/culture/2014/06/11/03004-20140611ARTFIG00204-bac-de-philo-matt-pokora-et-rene-girard-meme-combat.php

[6]   Id.

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