Irvin Yalom – Philosophies, romans, psychanalyses

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15 Mai
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Quelques mots sur l’auteur tout de même, Irvin David Yalom. Certes, Proust attaquait vigoureusement Saint-Beuve car il considérait quant à lui que la vie d’un auteur n’expliquait en rien son œuvre et que tenter de comprendre un livre à partir d’une biographie psychologisante de son rédacteur était aussi vain que trompeur. Bien qu’enamouré de Marcel, je ferai un tant soit peu semblant de marcher sur les pas de Charles-Augustin.

Ainsi Yalom est-il né en 1931 à Washington, dans une famille juive fraîchement exilée de l’atmosphère russe, espérant ainsi fuir les horreurs de la première guerre mondiale. Grandissant dans un quartier tristement célèbre pour son insécurité récurrente et sa violence quotidienne, il passe son enfance reclus, dans sa chambre, dévorant tous les livres qui lui parviennent.

Après des études de médecine, de psychiatrie et de neurologie, il exerce bon nombre de professions au cours de son existence toujours inachevée, telles que médecin, psychiatre, psychothérapeute, écrivain, professeur d’université, comédien au théâtre et acteur au cinéma. Il est l’auteur de quantité de livres divers et variés, romans, essais, contes, nouvelles, biographies, ainsi que d’une flopée d’articles universitaires, tantôt psychiatriques, tantôt philosophiques.

Mais quittons Sainte-Beuve pour plonger dans les bras de Proust. Venons-en désormais à l’essentiel, l’œuvre. Elle est vaste et ample, c’est pourquoi notre propos se penchera exclusivement sur sa trilogie philosophique : Et Nietzsche a pleuré (1991), La Méthode Schopenhauer (2005), Le Problème Spinoza (2012).

Et Nietzsche a pleuré (1991) : on y retrouve un Friedrich Nietzsche encore jeune et inconnu, mais déjà tourmenté et souffrant. L’histoire retrace de façon à la fois romancée et romantique la rencontre avec sa bienaimée Lou Andreas Salomé, écrivaine et philosophe s’il en est, qui convainc finalement Friedrich d’entamer une psychanalyse imaginaire avec le Docteur Breuer, l’un des premiers maîtres du juvénile Sigmund Freud. Débute ainsi rien de moins qu’une psychanalyse de l’immense Nietzsche et une psychopathologie de son vertigineux Zarathoustra, le tout avec en toile de fond cette folle passion amoureuse que ressent unilatéralement Friedrich pour Lou, ce qui l’entraînera au fond des abysses, insoupçonnés et cabalistiques. Des dialogues ciselés entre analysant et analyste, dans lesquels on se demande parfois si ce n’est pas Breuer qui devient analysant tant il se trouve débordé et déstabilisé par l’implacable marteau nietzschéen.

La Méthode Schopenhauer (2005) : Julius Hertzfeld, psychiatre de profession, apprend qu’il ne lui reste plus que quelques mois à vivre, et se demande bien ce qu’il doit faire, ce qu’il veut faire, pendant ses dernières semaines d’existence. Une pulsion lui prend, il désire impérieusement revoir son patient le plus récalcitrant, son plus grand échec thérapeutique, Philip Slate, une espèce de réincarnation d’Arthur Schopenhauer, de corps comme d’esprit, dans ses actes comme dans ses pensées, si ce n’est qu’il est de surcroît accro au sexe. Miracle, Slate accepte la revoyure et décide même de reprendre sa thérapie. Commence alors une mise à plat du monde comme volonté et comme représentation, aussi hilarante que métaphysique, à la fois viscérale et farfelue, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Le Problème Spinoza (2012) : d’un côté Rosenberg au XXe siècle, un haut dignitaire nazi qui file à Amsterdam pour confisquer la bibliothèque du philosophe juif, de l’autre Baruch au XVIIe siècle, un jeune esprit lumineux qui refuse de passer toute sa vie en yechiva, quitte à prendre le risque de l’excommunication hors de sa communauté hébraïque. L’un comme l’autre ont leurs obsessions philosophiques, leurs pathologies psychiques, et à certains égards, ces deux gaillards se révèlent bien plus proches qu’à première vue.

Dans chacun des volumes de ce délicieux triptyque, là où Yalom excelle particulièrement, c’est dans cette fabuleuse capacité de lier et de relier philosophie et psychanalyse à l’histoire sans jamais que le lecteur ou la lectrice ne pense un seul instant qu’il ou elle lit autre chose qu’une histoire fictionnelle. C’est du pur roman, et pourtant, ni vu ni connu, sans effort ni grandiloquence, c’est un formidable outil pour saisir, apercevoir et pénétrer dans le monde des idées, qu’elles soient de Nietzsche, de Schopenhauer, de Spinoza, d’Epicure ou encore de Sartre.

Au gré des pages, tandis que la vie et l’œuvre des philosophes s’éclairent à travers des personnages tantôt historiques tantôt fictifs, Yalom y égrène aussi discrètement qu’habilement de précieuses connaissances sur les différentes formes de thérapies de groupe, sur le mouvement de psychothérapie existentielle, sur la psychologie sociale, sur l’analyse transactionnelle ou encore sur la Gestalt-thérapie.

Son style est parfois simple et pur, souvent éclatant et fluide, mais toujours limpide comme du cristal, clair comme de l’eau de roche et transparent comme le jour, rien qu’ça ! Bref, vous l’aurez compris, il s’agit là d’une vivifiante lecture pour tout un chacun(e), et plus encore en guise d’introduction à la philosophie et à la psychologie pour les étudiants du secondaire supérieur. Certes, il est toujours plus agréable de le lire dans son jus, à savoir en anglais américain, mais ceci dit les traductions sont d’excellente facture et n’enlèvent rien au plaisir de partir en quête, tantôt de l’inconscient, tantôt de la vérité, et toujours du sens, pris dans sa triple définition bien sûr : signification, sensation, direction.

Enfin, éducation oblige, ce qui rend la lecture d’Irvin Yalom aussi pertinente pour des élèves de rhétorique, c’est qu’à la fin de chaque volume, l’auteur précise les éléments factuels du roman qui ne seraient pas exactement fidèles à la réalité historique et spirituelle du philosophe ou du psychanalyste dont il est question. Ainsi, au cours de la lecture, nous sommes de plain-pied dans l’histoire, mais à la fin, avec justesse et rigueur, nous revenons dans l’historique, aux sources mêmes, inamovibles piliers de l’école.

Yalom est pédagogiquement précieux car il ne donne jamais de réponse définitive. Il fait mieux, il questionne : pourquoi sommes-nous là ? Pourquoi allons-nous mourir ? Pourquoi allons-nous être séparés de ceux que nous aimons ? Qu’est-ce que je fais de ma vie ? Qu’est-ce que je fais de ma solitude ?

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