Retour sur l’après-midi « Jouons à la philo 3 » (Jeu Takattak)

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Journée d’étude et de pratique - Belgique - La Fabrique philosophique (ULiège/PhiloCité) : S’exercer en philosophie.  Université de Liège, 27 mars 2024. 10h-17h, espace paysager [...]
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27 Mar
Le 18 mai 2022, emmené·e·s par notre stagiaire Loudmilla, nous avons testé un nouveau jeu, et envisagé ses usages dans le primaire.

 

Takattak, qu’est-ce que c’est ? C’est un jeu qui propose aux enfants de développer leur répartie et de savoir réagir à des attaques parfois cinglantes auxquelles ils doivent faire face lors des récréations. Les attaques, lors de ces moments de détente ou en-dehors, sont souvent nombreuses et laissent les enfants bien démunis lorsqu’ils les reçoivent. Qui n’a pas déjà reçu lors de son enfance une phrase du style : « T’es moche », « Tu es le chouchou de la prof », « Tes parents t’achètent tes habits dans un magasin de deuxième main ? » etc. Et oui, nous avons déjà tous vécu au moins un de ces moments dans notre enfance. Et si certains s’en sortent plutôt pas mal, pour d’autres affronter ces attaques quotidiennement devient une véritable épreuve et qui peut même s’apparenter à du harcèlement.

Du coup, nous nous sommes dit qu’aborder ce jeu en lui apportant une dimension philosophique pouvait s’avérer intéressant et permettrait de questionner cet aspect « attaque » qui marque de son empreinte le jeu. D’ailleurs, une première question pointe le bout de son nez : « Sommes-nous toujours obligés de répondre à une attaque ? ». Ne serait-ce pas un présupposé qui nous amènerait à dire qu’il faut être en mesure de répondre aux attaques que l’on nous adresse ? Le silence n’est-il pas dans certains moments la meilleure réponse que l’on puisse donner à une personne qui cherche à nous atteindre ? Nous pensons qu’il serait judicieux d’invoquer « un droit de silence » dans le jeu afin de signifier aux attaqueurs que parfois leur remarque peut nous sembler tellement blessante ou hors de propos que nous n’avons même pas envie d’y répondre.

En tant que stagiaire à la Fabrique Philosophique, j’ai eu l’occasion de tester ce jeu au sein de mes classes en le proposant à des élèves allant de la troisième à la sixième primaire. Pour ce qui est des aspects positifs, je retiens l’émulation et l’engouement que celui-ci a suscités auprès de mes élèves. Les élèves rigolent, se soutiennent et proposent même des répliques à ceux qui n’en trouvent pas. La moquerie est totalement mise de côté au profit de la fraternité et de l’empathie. Dispenser plusieurs séances a également été bénéfique, car elles ont permis à mes élèves de se familiariser avec le jeu et d’intégrer plus aisément les différentes manières de répliquer. Pour les aider dans cette étape, j’ai leur ai proposé de travailler une seule consigne à la fois. Par exemple, réagir à l’attaque : « T’es laide » en répondant par de l’autodérision : « Merci pour ton compliment ». Le fait de travailler à plusieurs reprises cette consigne leur a permis de mieux comprendre ce que signifiait l’autodérision ou encore l’insolence. De plus, la répétition leur a permis d’être progressivement en mesure de juger la teneur de la réponse de leur camarade afin d’attribuer la carte à la personne qui détenait la réponse la plus en phase avec la consigne. Par ailleurs, nous avons décidé de modifier certains aspects qui nous posaient quelques difficultés en effectuant diverses adaptations :

  • Pour limiter le bruit, nous avons décidé de lever la main plutôt que de taper sur la table pour demander la parole.
  • Pour permettre à chacun d’avoir le temps de réfléchir à la réplique, nous avons instauré des « pauses penseurs » qui permettent de signifier aux autres que nous avons besoin de temps pour réfléchir avant de proposer une réplique.
  • Pour ouvrir sur le débat, certains enfants exprimant l’envie de discuter de certains sujets qui les touchaient, nous avons imaginé un classement des cartes gagnées à partir de catégories comme : l’aspect physique, les stéréotypes, l’intelligence, la richesse et la pauvreté, etc. À la fin de la partie, les élèves qui ont remporté des cartes tentent de classer, seuls ou avec l’aide des autres, les cartes qu’ils ont remportées en les plaçant dans une catégorie. À la suite de ce classement, un débat peut être lancé à la fin du jeu ou lors d’une prochaine séance de cours.

Lors de notre après-midi jeu, nous avons su relever les aspects positifs évoqués ci-dessus et pensons qu’il serait intéressant d’insister sur l’aspect langagier, ainsi que sur les stratégies d’optimisation des interventions des répondants d’après le type de réponse visée. Le professeur de CPC ou l’animateur pourrait, dans un premier temps, mettre en évidence l’habilité de pensée (ou plutôt aurions-nous envie de dire ici l’habilité de parler) qui a été utilisée par le répondant pour répliquer à l’attaque qui lui a été adressée. Après quelques séances, il serait possible de demander aux élèves de « juger » eux-mêmes de la valeur de la réponse donnée à l’attaque. Ceux-ci répondraient alors aux questions suivantes : « Quelle est la réponse qui semble la plus développée ? Quelle est la réponse la plus pertinente par rapport au type de réponse visée ? Quelle est la meilleure intervention ? ».

Toutefois, il est important de rester vigilant afin de permettre aux élèves de progresser dans leurs « joutes oratoires », car c’est bien là que résident la beauté et la richesse du jeu Takattak. Pour se faire, il serait intéressant de demander aux élèves qui maitrisent « l’autodérision » ou encore « l’insolence » de formuler quelques conseils auprès de leurs camarades. Il nous semble également pertinent de penser à quelques outils (fiches ou feuilles d’exercices) qui viendraient soutenir les différentes manières de répondre à une attaque.

De plus, nous pensons que les catégories pourraient être trouvées par les élèves plutôt que de les proposer à l’avance afin de leur permettre de les définir par eux-mêmes. Nous soulignons également l’importance du rôle du professeur qui se doit d’instaurer un cadre respectueux, qui intègre des règles de communication en ayant recours à « l’intelligence collective ».

Tester le jeu Takattak en classe fut une belle expérience pour mes élèves ainsi que pour moi. Ils en ont gardé un très bon souvenir et ils aiment rire des répliques des autres à propos des sujets qui les touchent. Le jeu nous a permis d’aborder plus facilement des sujets délicats par l’intermédiaire du rire. Je le recommande vivement aux enseignants qui souhaitent apprendre à leurs élèves à parler de sujets qui les touchent directement afin de lutter contre certains comportements moqueurs qui peuvent malheureusement parfois conduire jusqu’au harcèlement.

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