Jeu et pédagogie : la formule magique ?

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20 Nov
20/11/2024 - 21/11/2024    
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La Fabrique Philosophique prend une nouvelle fois part aux Rencontres Internationales sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques. Cette année, celles-ci se déroulent à la Maison de [...]
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Envisager un jeu dans une situation pédagogique dans l’enseignement secondaire n’est jamais un acte innocent. Lorsqu’on observe les pratiques pédagogiques dans le parcours scolaire, le jeu est aujourd’hui considéré comme activité idéale pour les seules classes de maternelle et primaire, pour des enfants que l’on considère encore pleinement comme des enfants, et inadéquat pour des adolescents ou des adultes en devenir. Dès qu’on adresse à un public que l’on veut plus mature, alors le jeu disparaît : c’est bien connu, jouer ce n’est que pour les enfants.

Cependant, plusieurs acteurs dans l’enseignement et chercheurs en pédagogie peuvent tous observer une même chose : le jeu revient à l’ordre du jour. Le jeu n’est plus cantonné ni à un usage réservé aux “enfants” ni à une simple parenthèse entre deux périodes de travail – dont la récréation est le parfait symbole. On commence à introduire le jeu en classe.

Quelles seraient les raisons à cela ? Pourquoi soudainement voit-on un tournant dans le rapport entre pédagogie et jeu ? Qu’est-ce qui a amené à détricoter, lentement mais sûrement, ces fausses oppositions encore très présentes entre “jeu et travail”, entre “jeu et sérieux” ?

On ne peut répondre à ces questions simplement : le jeu devient une réalité de plus en plus importante dans les loisirs de chacun, un professeur-joueur aurait tendance à vouloir faire jouer ses élèves également, il y a toutes sortes de “jeux” autour de nous desquels il faut se méfier et qui nécessitent donc qu’on enseigne comment s’en prémunir… Bref, beaucoup de réponses peuvent être apportées à ce genre de questionnements.

La réponse qui va ici retenir notre attention est celle-ci : le jeu permettrait de ruser. Ou plus exactement, passer par le jeu permettrait de contourner les réticences initiales des apprenants concernant une certaine matière.

Cette conception du jeu, bien qu’elle soit rarement le seul moteur derrière un choix de pratique, devient pourtant un argument qui commence à prendre un certain poids aujourd’hui : et si nos élèves apprenaient des choses sans savoir qu’ils étaient réellement en train de les apprendre ? Et si, pour dépasser des a priori sur un cours de philosophie considéré comme si “difficile”, si “abstrait” par une certaine portion de la population, il suffisait de passer par le jeu, par des paillettes et des éléments ludiques qui feraient presque oublier que nous sommes bel et bien dans une situation d’apprentissage ?

C’est en tout cas un des nombreux avantages que l’on prête au jeu, depuis déjà plusieurs siècles : le jeu serait en quelque sorte “magique”. Utiliser le jeu dans une situation d’apprentissage, dans cette acception, reviendrait, pour reprendre les mots d’Amy Bruckmann, à recouvrir de chocolat les brocolis[1]. Ainsi, le jeu serait censé créer de la motivation chez des apprenants – motivation qui, s’ils la croient dirigée vers le jeu, serait en réalité tournée vers les apprentissages. En ce sens, le jeu n’est perçu que comme un outil parmi tant d’autres, portant en lui des grandes promesses de nouvelles pédagogies et d’horizons extraordinaires – réussir à motiver et intéresser des élèves à notre matière.

Seulement, le problème est là : il n’existe aucune donnée scientifique attestant du réel facteur motivationnel dans l’usage de jeu en situation d’apprentissage. Une des raisons qui amène ce constat réside dans la complexité du dispositif de “jeu” : il ne s’agit pas seulement d’un objet ou de quelque chose de strictement délimité dans l’espace. Son évaluation est plus complexe que cela. Parmi les critères à prendre en compte pour réussir à atteindre des objectifs pédagogiques attendus avec un jeu, il faut considérer sa présentation, son intégration dans un scénario pédagogique ou encore ses phases de débriefing, plus ou moins concomitantes à l’activité ludique ; sans oublier la réception des apprenants, étant plus ou moins joueurs. Tous ces éléments complexifient une approche du jeu pour son seul caractère motivationnel et rendent compliquée l’idée seule “Faire jouer mes élèves les motive plus”.

De plus, une question émerge suite à cela, qui est simple mais paraît pourtant insurmontable : qu’est-ce que c’est, un jeu ? Comment est-ce que je peux réussir à créer un “jeu” ? Un jeu auquel on joue, auquel on a envie de jouer ? Comment puis-je m’assurer que ce que je mets en place est bien perçu comme un jeu, et non pas une simple activité ludifiée, où les apprenants vont juste obéir aux consignes comme s’ils étaient face à une simple activité pédagogique dirigée, sans jamais se réapproprier ce qu’ils se passent devant eux ? Un jeu n’est jamais réellement une histoire de matériel, mais plutôt d’attitude face au réel : donnez-leur des cailloux, des feuilles, n’importe quoi et si l’envie de jouer se présente, alors ils transformeront les objets devant eux pour correspondre à leurs désirs. Cependant, l’inverse est plus difficilement tenable : un élève peut résister à un jeu-matériel, aussi bien construit qu’il soit, si son esprit n’y est pas – ou en tout cas, non pas sans difficulté.

Avec tout cela en tête, cela remet en perspective cette idée, attirante mais fragile, selon laquelle le jeu est cet outil “magique” et pédagogique à mettre en place.

Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faudrait abandonner le jeu parce qu’il ne rencontre pas ces attentes ou parce que sa réalisation effective et idéal(isé)e n’est pas possible. Au contraire, et d’autant plus au sein d’un cours de philosophie, il semble nécessaire d’explorer “d’autres manières” de faire jeu. Et si le jeu n’était pas un simple outil à mobiliser pour atteindre certains savoirs déterminés ? Et si on essayait, au contraire, de trouver un sens pour le jeu dans le jeu lui-même, dans le fait de jouer ? N’y a-t-il pas une dimension fondamentalement philosophique dans un rapport ludique face au monde ? Est-ce que philosopher n’est pas aussi une forme de jeu, dont nous refusons l’appellation par pudeur ?

La question de l’apprentissage et du jeu est une question très épineuse et délicate… mais peut-être faut-il prendre le temps d’apprendre à jouer avant d’apprendre en jouant. Peut-être même est-ce là que résident certains apprentissages philosophiques que l’on poursuit et cherche tant.


[1]  A. Bruckman, « Can Educational Be Fun? », Game Developer’s Conference, San Jose, California, 17/03/1999

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