Compte-rendu critique : L’étonnement philosophique

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de J. Hersch, L’étonnement philosophique Paris, Gallimard, 1993, coll. folio essais, 462 p.

Dans l’espace qui est ici réservé à l’étude de l’ouvrage – complexe – de Hersch, l’impasse sera faite sur de nombreux aspects de l’étonnement philosophique. Nous nous concentrerons sur la réflexivité de cet étonnement pris comme attitude philosophique en même temps que comme sujet d’étude. C’est en effet par étonnement personnel que nous devons rentrer, selon Hersch, dans l’histoire de la philosophie qui n’est autre que la mise bout-à-bout de l’étonnement spécifique de certains auteurs. Il ne s’agit donc pas d’adopter une posture pseudo-objective de l’histoire de la philosophie qui se devrait de passer par des étapes claires et définies. On comprend alors que, plus qu’une histoire de la philosophie, c’est une philosophie de l’histoire de la philosophie qui se déroule ici, structurée autour d’un concept fort, l’étonnement. Grossièrement, celui-ci se définirait comme la capacité à questionner l’évidence. L’enjeu n’est pas d’instruire le lecteur mais de le faire méditer sur des thématiques. On ne souhaite pas qu’il ressorte de l’ouvrage avec une connaissance dite « de base » de la philosophie.

Cela ne signifie pas que l’ouvrage est un essai. Il est essentiel de comprendre l’oscillation herschienne dans sa posture méthodologique tout au long de l’ouvrage.

La thèse de l’étonnement philosophique

L’étonnement herschien est métaphysique et est orienté vers un au-delà, celui d’un englobement plus large. Le questionnement de l’évidence a pour virtualité d’augmenter la puissance du système de l’appréhension humaine. Le point d’aboutissement de l’histoire de la philosophie, selon Hersch, est Karl Jaspers. Tout au long de l’ouvrage, on sent que deux « types » d’étonnement 1 sont essentiels pour l’auteure : celui sur la connaissance et celui sur la religion .

Deux concepts sont retenus de Jaspers : d’abord, l’existence comme étant le constat de l’échec à déployer le monde dans son unité infinie, malgré qu’il nous soit présenté de manière unitaire. Le monde nous vient d’un bloc, mais on ne peut apprivoiser ce bloc. Ensuite, la communication comme le fait de rencontrer une autre existence et d’y déceler deux caractéristiques antagonistes, la résistance et l’indispensabilité. À côté de ces concepts, Jaspers donne la différence entre la philosophie qui est universellement floue et la science qui est relativement stable. La science en tant qu’elle se concentre sur un aspect du monde – qui ne peut être saisi dans son infinie unité – est toujours relative à un point de vue – disciplinaire pourrions-nous dire – tandis que la philosophie actualise l’existence et avec elle la liberté dans la tentative de saisir le monde dans son infinie unité. Cette tentative, qui ne peut réussir, est cependant génératrice de nouveautés2 épistémiques, de nouvelles vérités ou espaces de vérité .

Le premier versant qui amène à Jaspers, c’est le système métaphysique. Il existe trois indépassables du genre en philosophie, selon Hersch : Aristote, Thomas d’Aquin et Hegel. On ne peut que constater la connivence suivante : tous trois réalisent des sommes immenses reprenant à la fois les données des sciences de leur époque dans un système adéquat et dépassant cet état de fait par des spéculations métaphysiques qui vont au-delà.

Le second versant est celui des métaphysiciens existentialistes. Ce que Hersch y décèle est la pensée de l’au-delà. C’est ici le postulat métaphysique qui lui importe : Nietzsche et la volonté de puissance, Kierkegaard et la chrétienté authentique, Freud et l’inconscient, … .

Les deux versants sont nécessaires pour pouvoir élargir (existentialistes) le champ des connaissances (systèmes). Avec Jaspers comme point d’aboutissement, l’étonnement philosophique est l’ouverture de l’humain au monde qui l’entoure, l’expression de sa liberté en tant qu’il construit un édifice d’interprétation pour le monde dans lequel il se déploie.

Histoire de la philosophie

Le tableau suivant reprend les chapitres de l’ouvrage (dans l’ordre) ; où la colonne de gauche représente les grands penseurs des systèmes, la droite ceux de l’existence, et le centre reprend tout ce qui se passe « en plus »3 :






Aristote




Thomas d’Aquin





Emmanuel Kant

Hegel

Thalès
Héraclite et Parménide
Zénon et les atomistes
Socrate
Platon




La philosophie médiévale

La Renaissance



L’empirisme anglais

De Kant à l’idéalisme allemand

Auguste Comte





Après Kierkegaard et Nietzsche
Edmund Husserl
Martin Heidegger
Karl Jaspers







Les Épicuriens
Les Stoïciens
Augustin



René Descartes
Spinoza
Leibniz





Karl Marx
Sigmund Freud
Henri Bergson
Sören Kierkegaard
Friedrich Nietzsche

Le bémol principal de l’ouvrage, qui n’en est un que dans la mesure où on le prendrait pour un traité d’histoire de la philosophie, est que celle-ci n’y est pas que morcelée et sélective, elle est orientée. Hersch ne peut, en vérité, se défaire de sa propre conception qui consiste en une perspective précise sur l’histoire de la philosophie. Les philosophes abordés sont, très majoritairement, les grands métaphysiciens de l’histoire de la philosophie, ​a contrario les grands empiristes sont quasiment absents : Locke, Hume et Berkeley sont cités rapidement entre Leibniz et Kant. La philosophie du XIXème​ est celle des existentialistes, non celle des psychologues naissants (bien que Hersch indique cette naissance de la science psychologique). La logique est la grande perdante : Frege, Russell, Wittgenstein n’existent pas, Hersch se cantonne à mentionner la sémantique d’Aristote et à indiquer que la logique est dépassée avec, par exemple, ​Les Recherches Logiques​ de Husserl.

Hersch ne fait néanmoins pas violence aux auteurs. Lectrice attentive et lucide, elle décèle chez Heidegger la mauvaise foi en matière de concepts et d’histoire de la philosophie. Elle associe cependant cela à l’importance du langage pour Heidegger, et interprète la manière dont il utilise les auteurs comme étant une manière de manifester le mode d’être authentique du Dasein. La prémisse de Hersch est de dire qu’il faut se placer au cœur de l’étonnement philosophique d’un auteur pour en comprendre la théorie. Ainsi, le but est de trouver le questionnement essentiel d’un auteur et d’identifier l’évidence qu’il souhaite déconstruire.

Philosophie de la pédagogie au cœur de l’oscillation

Ce parti pris, ce concept d’étonnement, cette philosophie de l’histoire de la philosophie, se résolvent à mon sens dans une philosophie de la pédagogie. Nous trouvons chez Hersch un ouvrage pour les professeurs, non pour les élèves ; il frappe fort et dévalorise la vulgarisation. Ce que nous dit Hersch, c’est que les auteurs philosophiques ne peuvent être saisis qu’au travers de notre personnalité propre. Jamais nous ne pourrons les saisir autrement que par notre propre étonnement ; le leur nous est inaccessible. Cependant, tenter de saisir leur intention reste notre absolu besoin. C’est au final l’existence d’autrui de Jaspers : indispensable, et résistante. Par là, la vulgarisation de la philosophie, ou de l’histoire de celle-ci, ne se révèle jamais intéressante. Tenter d’ériger un édifice historique objectif qui retracerait les grands jalons philosophiques est inutile. Bien plutôt, il s’agit de donner un sens aux recherches philosophiques, sachant que leur histoire dans son unité nous est toujours déjà inatteignable. Il est donc deux éléments essentiels pour l’interprétation et la transmission de la philosophie : assumer son propre point de vue, et ne jamais procéder à une vulgarisation prétendûment objective. L’enseignant doit apprendre à l’élève à être patient, à travailler le texte jusqu’à trouver la saisie par laquelle il se sent investi de l’intention de l’auteur qu’il lit ; il sera alors à la place où il doit être, c’est-à-dire au cœur de l’étonnement philosophique de l’auteur. Celui-ci, à la vérité, est celui du lecteur et non de l’auteur, mais qui s’assumera comme tel et permettra, sinon de saisir objectivement la vision de l’auteur, au moins de dépasser son propre système pour aller vers un au-delà.

Ce qui est dit ci-dessus n’est jamais que l’étonnement philosophique que j’ai éprouvé en lisant Hersch, et que je lui assigne parce que je pense être fort bien entré dans son ouvrage. Un alter lecteur souhaitera peut-être me réfuter ou me contredire. Cela me semble tout à fait intéressant et utile. Plus, cela me semble être précisément l’enseignement que Hersch nous donne.


1 En ce sens, les chapitres sur Anselme, Augustin, Kant, Kierkegaard, Nietzsche et Jaspers sont fort intéressants parce qu’ils offrent à voir quelque chose de plus que les autres chapitres : on se situe avec eux dans le sillage herschien.
2 On pourrait ici rappeler, sans forcer le rapprochement, les théories socio-constructivistes centrées sur l’adaptation, l’assimilation et le conflit socio-cognitif.
3 Je reprends ici le tableau tel que Hersch le dresserait, c’est-à-dire que les auteurs y sont classés selon ce qu’elle en dit

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« Pensez-vous vraiment ce que vous croyez penser ? » de Marianne Chaillan (Ed. des Equateurs)

Marianne Chaillan est une philosophe française et professeure de philosophie dans un lycée privé à Marseille. Elle est une fervente défenseuse de la pop-philosophie, une philosophie dont les objets sont ceux de la « pop-culture ». Elle a écrit divers livres à ce propos, analysant tantôt l’univers de Disney (Ils vécurent philosophes et eurent beaucoup d’heureux), Harry Potter (Harry Potter à l’école de la philosophie), Game of Thrones (Game of Thrones, une métaphysique des meurtres), ou élaborant les playlists fictives qu’écouteraient certains philosophes (La Playlist des philosophes). Le souci central de sa philosophie est de se rendre accessible à un public de néophytes.

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