IN POP WE TRUST de Marianne Chaillan

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15 Mai
Journée d’étude et de pratique - Belgique - La Fabrique philosophique (ULiège/PhiloCité) : S’engager en classe de philosophie ? Neutralité et débat d’idées. Avec Nathalie [...]

Comme vous allez le découvrir avec In Pop We Trust, Marianne Chaillan propose à son lecteur un voyage à travers notre culture mainstream contemporaine, principalement autour d’oeuvres cinématographiques et de séries. Notre philosophe et professeure n’en est pas à son coup d’essai. Elle y réalise une synthèse de plusieurs de ses précédents ouvrages traitant respectivement du fond philosophique de la saga Harry Potter, des films de Disney ou encore de la série Game of Thrones.

Mais alors, quelle est la recette Chaillan ?

Elle consiste à prendre une œuvre de la culture qu’elle nomme « pop », pour en faire jaillir des questionnements plus philosophiques. Tirer le fil d’un personnage ou d’un passage culte pour déboucher sur la découverte d’un philosophe ou d’un système philosophique. Elle qualifie sa pratique de « pop philosophie ».

La pop philosophie, c’est le premier parti pris de ce livre. De la troncation pop, Chaillan nous ramène à sa signification originale de popular ou « populaire » en français. Il s’agit bien de cela, dans cet engagement quasi-politique expliqué et détaillé dans son introduction. Elle se refuse au mépris de classes et se refuse à ne considérer, comme digne de valeur pour la jeunesse, que l’unique culture bourgeoise. Elle explique s’opposer au « Plutôt Racine que Netflix » du Ministre français de l’Éducation Nationale. Pourquoi vouloir opposer ces cultures et les hiérarchiser comme si elles étaient incompatibles ? Elle affirme que l’on peut aimer les deux et considérer chaque culture. Elle parvient même à démontrer que la culture populaire – ou comme nous l’appelons mainstream – porte elle aussi en elle une part de profondeur ou d’invitation à la profondeur ; elle nous invite à considérer ces œuvres populaires dans toute leur sophistication et non pas comme seuls objets d’un divertissement grossier. Chaillan est parvenue, je dois l’avouer, à me surprendre agréablement dans les œuvres sélectionnées à cet effet. Si l’on pouvait s’attendre au classique Matrix, très apprécié chez les professeurs du secondaire, si l’on avait déjà entendu Slavoj Zizek décortiquer la morale des guerriers Jedis dans une de ses conférences, ou si l’on avait vu la série The Good Place, rien ne nous aurait surpris… mais notre auteure parvient à nous intéresser à la philosophie et nous faire apprendre des choses grâce à Friends, le Roi Lion, Terminator 2, Indiana Jones et même la Belle au bois dormant ! En cela, elle parvient à  faire un véritable tour de force la confortant dans sa volonté de créer une pop philosophie.

Ensuite, ce livre est une certaine manière de philosopher et de vulgariser. Chaillan ne nous propose pas une énumération de philosophes, ni une entrée par questionnements philosophiques. Elle nous fait d’abord entrer dans un film, un univers, une situation et des personnages. Nous sommes face à la fiction mais nous sommes entremêlés dans des subjectivités et des moments – dont certains que nous pourrions nous même vivre – puis vient le moment de la philosophie comme un étonnement. Quand, dans la première partie du livre consacrée aux méchants, elle nous fait aborder la relation de Gollum à l’anneau unique le rendant invisible, nous sommes amenés à nous mettre à sa place et nous interroger sur nous-même : ne serions-nous pas tous des Sméagol ayant en nous la puissance de devenir un Gollum ? De la figure narrative, Chaillan extrait la figure théorique, qui est aussi celle de l’anneau de Gygès dans La République de Platon. Préfèrerions-nous l’injuste au juste, sous prétexte que nous croirions ce premier plus favorable à nos intérêts ? Il est là le questionnement philosophique, et c’est ce qu’elle nous propose toujours d’envisager à ses côtés. Prise de recul et réflexivité, voilà des outils philosophiques permettant à chacun d’approfondir sa réflexion sur le monde et sur soi-même. Une fois ce cap passé, elle peut alors déployer l’un ou l’autre système philosophique s’étant déjà penché sur cette même question, éprouver leurs arguments et les faire se nouer à nouveau dans le film en nous accompagnant dans la réflexion. Sans y répondre pleinement, le lecteur est alors à même de formuler l’enjeu se jouant entre la vision de l’humanité de Tolkien et celle de Platon. Avec la nouvelle vie de Rachel Green dans Friends, le lecteur interrogera le poids de l’existence et de son rôle, éclairé par Heidegger ; sur l’île de Jurassic Park, il problématisera la manipulation génétique, l’enjeu bioéthique en jeu, avec l’aide de Jonas ; et c’est dans La Casa De Papel à l’aide d’el Professor et des philosophes Kant et Bentham qu’il interrogera deux systèmes moraux.

Probablement ces réflexions ont-elles effleuré nos esprits lorsque nous visionnions ces films et séries, parfois ces interrogations sont même abordées de front dans ces oeuvres. Mais la plus-value de Chaillan – et probablement est-ce dû à sa pratique de professeur – c’est de systématiser le questionnement philosophique et de rendre explicite ces processus philosophiques auxquels nous recourons intuitivement. Chaque scène, chaque problème est traité avec la même rigueur méthodique permettant à chacun de s’approprier le questionnement philosophique et surtout d’exercer celui-ci.

Pour les personnes initiées à la philosophie, cet ouvrage peut, a priori, sembler ouvrir les portes à une philosophie  »facile ». Il peut donner en première impression le sentiment que la pop philosophie, c’est faire découvrir une philosophie qui est populaire, une philosophie pour le plus grand public, plutôt que de faire découvrir de la  »véritable » philosophie au travers d’oeuvres populaires. Ce sentiment, je l’ai eu un instant après quelques références à Marc Aurèle ou Cicéron (tous deux stoïciens), la présentation de Freud comme faisant partie de la tradition philosophique ou encore par les références aux amis Platon et Aristote. Mais ce serait rater la démarche de Chaillan que de rester sur cette première impression. Ce qu’elle tente de faire et ce en quoi elle croit – du moins je le pense – c’est une entrée dans la philosophie étape par étape, que je paraphraserai ainsi : « Rien de sert de courir à Kant, il faut partir à Platon et Aristote ». Progresser dans la connaissance philosophique est une affaire de strates, les systèmes se sont construits les uns sur les autres – en contradiction souvent – et il est alors nécessaire pour le public visé par Chaillan de commencer par le commencement. Comme ils le sont en première année de bachelier en philosophie, Platon et Aristote apparaissent incontournables ainsi que Kant et Spinoza pour leurs systèmes éthiques, ou encore Descartes et le dualisme sont autant de portes d’entrée vers des sujets plus complexes que le philosophe peut aujourd’hui se poser. Mais la prétention de Chaillan n’est pas pour autant modeste, en abordant le film Lucy par exemple, nous découvrons la théorie de l’émergentisme, ouvrant ainsi notre curiosité à de bouillantes et techniques questions que la philosophie de l’esprit contemporaine se pose actuellement. Ou encore quand elle aborde Machiavel au travers du personnage de Cersei Lannister, n’est-ce pas tous le champ de la philosophie politique moderne qui s’ouvre à l’horizon ?

En conclusion,  In Pop We Trust doit être compris comme un objet double, répondant à un même objectif. L’objectif est d’initier le plus grand nombre aux joies de la philosophie, l’apprentissage par le divertissement comme l’énonce Chaillant. Double objet ensuite parce qu’il est d’une part un véritable matériel pédagogique, permettant de driller son questionnement philosophique et nos capacités de problématisation. Ce livre est une propédeutique à la philosophie, à n’en pas douter. Il est en outre un objet de divertissement que l’on peut aisément offrir en cadeau, sa lecture est agréable et distrayante, sans qu’un effort particulier soit requis. Ce livre donne envie de voir ou revoir nos classiques pop en leur donnant une deuxième lecture plus profonde. Dans la forme comme dans son fond, ce livre tient ses promesses, pour notre plus grand plaisir.

Je donne simplement un dernier avertissement à tous ceux tentés par sa lecture : visionnez en premier lieux les films et séries abordés ! N’hésitez pas à revenir à certains des chapitres plus tard si vous ne souhaitez pas être « spoilés », chaque chapitre peut se lire indépendamment des autres.

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