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Que le CPC soit une occasion en or, c’est en tout cas ce que soutiennent Anne Herla et Antoine Janvier dans le 15ème jour du mois, organe de presse de l’ULg. Texte intégral ci-dessous.

Une occasion en or

Carte blanche à Anne Herla et Antoine Janvier

Le cours de “Philosophie et Citoyenneté” (CPC) est désormais bel et bien lancé en Fédération Wallonie-Bruxelles. Si la mise en œuvre est loin d’être optimale, le CPC est néanmoins une occasion en or d’éprouver la puissance transformatrice et émancipatrice de la philosophie. C’est que l’introduction de cette nouvelle discipline dans l’enseignement est doublement originale : on fera de la philo dès le primaire, tout au long de la formation, et on fera de la philo sur et à partir de la citoyenneté.

Faire de la philosophie dès six ans, et jusqu’à la rhéto. Pour rattraper un retard séculaire sur nos voisins européens, on n’y est pas allé de main morte. On peut s’en réjouir. La philosophie ne viendra pas comme une sorte de supplément d’âme marginal, en fin de parcours, en guise de dessert ou comme accomplissement prétendu d’une instruction progressivement ouverte vers l’universel. C’est là le modèle classique français que n’imitera pas la Belgique. Apprivoisées dès l’enfance, les attitudes philosophiques (le questionnement, le goût de l’argumentation, de la nuance, de la rigueur, la curiosité vis-à-vis des points de vue différents) pourront devenir une sorte d’éthos commun.

Mais, on ne va pas se le cacher, ce projet est d’abord un défi. Il interroge ce que veut dire “faire ou apprendre de la philosophie”, de manière très concrète, et il ébranle jusqu’à notre conception de la philosophie même. Nous avons en effet appris la philosophie dans des textes, suivant grosso modo les formes classiques du commentaire magistral ou de la dissertation écrite. Nous avons appris que la philosophie, c’est avant tout l’histoire de la philosophie, à la fois pour elle-même et pour penser (dans) le monde. Ça marchait très bien à l’Université. Mais comment faire avec des élèves qui ont 15, 13, 10, 8, 6 ans ? Comment faire quand il est évident, pour nous, que la philosophie, ce sont des auteurs qu’on lit et relit, qu’on essaie de comprendre, dont on restitue l’argument, dont on travaille à montrer qu’ils bouleversent nos façons de penser et de poser les problèmes de notre existence et de notre monde ?

C’est que nous avons à tenir ensemble deux enjeux. D’une part, permettre à tous d’aborder thèmes et idées de la tradition philosophique, en tant qu’elle ne constitue pas un opérateur d’asservissement et de subordination aux “grands philosophes”, mais qu’elle est pleine d’interlocuteurs provocants, enthousiasmants, dérangeants, qui nous permettent de sortir de nos idées toutes faites et d’oser penser par nous-mêmes. D’autre part, démultiplier la philosophie dans les publics les plus hétérogènes, et assumer la vieille idée d’Épicure selon laquelle il n’est jamais trop tôt ni trop tard pour commencer à faire de la philosophie.

C’est le défi de ce cours, que nous prenons comme une chance inédite à la fois de partager avec le grand nombre ce à quoi nous tenons et de nous ouvrir et de réinventer nos pratiques philosophiques et pédagogiques, y compris à l’Université. C’est que la philosophie elle-même nous offre un vaste réservoir de genres et de styles d’écriture et de prises de paroles des plus variés – dialogues, contes, aphorismes, correspondance, journaux, manifestes, traités, entretiens. À nous d’y puiser l’inspiration pour renouveler nos méthodes et donner à nouveau envie de lire et d’écrire pour penser le monde, au contact de ce qui surgit sous nos yeux, nos oreilles ou nos doigts. Quant aux pratiques de l’oralité, le succès rencontré ces dernières années par les outils issus de la philosophie avec les enfants montre qu’il est possible de développer pratiquement des habiletés de pensée avec les élèves les plus jeunes jusqu’aux plus âgés (communauté de recherche philosophique, discussion à visée démocratique et philosophique, maïeutique socratique, etc.).

La deuxième singularité du nouveau cours est d’associer philosophie et citoyenneté. Il faut bien comprendre cette articulation. Il ne s’agit pas de faire un peu de “philosophie” d’un côté, et un peu de “citoyenneté” de l’autre. Les référentiels de compétences qui fixent le contenu de la formation, et les programmes qui en déclinent les modalités pédagogiques et didactiques, le disent très clairement : la discipline philosophique fournit la démarche centrale du cours, exercée sur la citoyenneté. Il s’agit d’apprendre la philosophie sur et à partir des questions de citoyenneté. C’est-à-dire ? La citoyenneté, ce n’est pas seulement un ensemble de droits, d’institutions et de pratiques soutenues et interrogées par la philosophie politique. La citoyenneté, ce sont aussi des enjeux et des problèmes qui ne cessent pas d’en faire évoluer les formes et la signification : aujourd’hui, par exemple, le travail, les migrations, les questions de genre, l’écologie…

Traiter ces enjeux contemporains demandera de mobiliser les développements philosophiques les plus récents, en train de se faire, bref la pensée philosophique la plus actuelle qui se nourrit profondément des autres disciplines scientifiques, mais aussi des pratiques et des œuvres artistiques. Georges Canguilhem disait que « la philosophie est une discipline pour laquelle toute matière étrangère est bonne, et même pour laquelle toute bonne matière devrait être étrangère ».

C’esHerlaJanviert dans cet esprit que nous travaillons, dès ce mois d’octobre, avec les professeurs du CPC dans le cadre du nouveau “Certificat d’université en didactique de la philosophie et de la citoyenneté”.

Anne Herla,
chargée de cours en didactique de la philosophie
Antoine Janvier
chercheur au service de philosophie morale et politique

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